Gise, 85 ans, “Un corps qui vieillit, c’est un corps qui vit”

Vraie Chtimie dans l’âme, elle a été la personne qui a accepté de m’accueillir gratuitement à Lille une semaine par mois pendant deux ans. Depuis son divorce en 1987, elle n’a cessé d’affronter les défis qui se présentaient devant elle. Le dernier en date : un road trip au Brésil ensemble et nos 62 ans d’écart. Retour sur les messages d’espérances et d’amour qu’elle a pu m’enseigner à travers notre amitié et grâce à ce voyage aussi unique que magique.

“Quand tu arrives dans le ch’nord, tu pleures deux fois, quand tu arrives et quand tu repars.”

Il ne me fallut pas longtemps pour découvrir, en dépit de son âge, la richesse de son humour et de sa générosité. Après lui avoir offert une carte de France, je découvrais avec intérêt une photo de l’installation de cette dernière ainsi qu’un message dans ma boite mail.

“Tu vois Joëline l’importance de ton cadeau pour moi. J’aime les cartes mais aussi la circulation. Hélas les enfants ne veulent plus que je circule avec ma voiture. Je crois que je vais leur désobéir ! Je t’embrasse. Gise”

Ayant perdu mes deux grands-mères, mes aventures avec elle me sont particulièrement chères. Découvrir la vie à travers son regard continue de m’enchanter. Elle a une vision authentique et apprécie la sincérité des rapports humains. Elle ne me connaissait pas et m’offrait tous les soirs un festin. Je revois Gise conduire un peu trop vite, essayer de ne pas être ralentie par les feux rouges dans l’idée de m’amener à l’heure à l’Université. Elle se sentait concernée par mon quotidien et moi par le sien, si elle m’apprenait à coudre, moi je l’aidais dans ses problèmes informatiques.

“Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort”- Nietzsche

Ses souvenirs de guerre sont encore très présents, sa mémoire retrace la mobilisation de son père, rentré à la maison après six ans d’absence. Des années plus tard, c’est son mari qui s’en alla, cette fois-ci, pour une autre femme. Ce jour bouleversa tous ses repères. C’était à l’aube de ses cinquante-cinq ans, elle réalisa qu’elle avait toujours vu sa vie qu’à travers les yeux de son mari. Elle ne savait pas utiliser une carte de crédit, ni voyager seule. Pourtant, elle ressentait au fond d’elle une confiance qui lui intimait qu’elle s’en sortirait et que cette épreuve était peut-être bien l’occasion pour elle de vivre enfin et d’aller vers qui elle était vraiment.

La transition a cependant été difficile à plusieurs niveaux, mais elle ne garde aujourd’hui que le meilleur de sa vie d’épouse et mère de quatre enfants. Elle continue de croire en l’autre, en l’humain et au bonheur que ces derniers peuvent lui procurer. Depuis 1987, Gise a su prendre le meilleur parti de son indépendance et de sa liberté. En plus de faire un tour de France chaque année, Gise cumule les voyages partout dans le monde. Cela vous surprend-t-il si je vous dis qu’elle a vu la beauté de la Russie, la diversité de l’Afrique du Sud, les couleurs de l’Inde ou encore les forêts du Canada? 

“Peu de gens savent être vieux.”

Au Brésil, je voyais qu’elle avait cette capacité incroyable de s’accepter et de faire la paix avec elle-même. Elle était consciente des limites de son corps, liées à son âge, mais elle trouvait toujours un moyen de transformer la situation. Elle connaissait les couleurs qui allaient avec son teint et tous les matins, pendant notre voyage, je découvrais sa séance personnelle de gymnastique énergétique au bord du lit. Elle était pleinement elle-même et avait su lâcher prise vis-à-vis des pressions qu’elle avait pu subir jadis et pardonnait simplement. Elle m’a donné une autre définition de la liberté, de la reconstruction personnelle en tant que femme.

Gise dégage  une fraîcheur d’esprit, une spontanéité qui m’entraîne souvent dans des fous rires joyeux, sans oublier son franc-parler qui ne laisse personne indifférent. Parfois problématique, elle n’accepte aucun filtre et avec personne. Je vous mets dans la confidence et vous avoue ne pas avoir toujours traduit  ses propos exacts auprès des Brésiliens lorsqu’elle jugeait que leurs spécialités culinaires n’étaient pas à son goût.

Quand je pense à Gise, je nous revois lors de nos ballades au Brésil, où toujours devant, elle menait le pas. Comme l’évoque Ingmar Bergman:

La vieillesse est comparable à l’ascension d’une montagne, plus vous montez, plus vous êtes fatigués (ce qui n’est pas le cas de Gise), mais combien votre vision s’est élargie.” 

J’appréciais particulièrement quand les Brésiliens réalisaient que Gise n’était pas ma grand-mère, que nous n’avions aucune obligation ou pression de passer du temps ensemble mais que nous nous étions simplement choisies. Nous avions décidé de vivre nos différences comme une force et une leçon de vie. Elle avait oublié ses idées préconçues sur les jeunes d’aujourd’hui et moi les miennes sur les personnes âgées. “Un corps qui vieillit, c’est un corps qui vit”. J’ai l’espoir de me dire que cette vision élargie, nous l’accepterons petit à petit dans notre génération, que nous saurons voir de plus en plus la richesse d’une personne âgée.  N’attendons pas qu’elles s’en aillent.

8 commentaires sur « N’attendons pas qu’elles s’en aillent »

  1. Amour, partage, transmission, force, inspiration…voilà une partie de tout ce que j ai ressentis en te lisant Joeline😍😍 bravo à vous deux💪💪💜

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  2. Touchant et plein d’autenticité Joeline ! Cela nous laisse présager d’un avenir avec tellement de choses formidables et inattendues.
    Nos aînés ont tellement à transmettre.
    ❤️

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